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Urbanisme

Le ZAN, un petit acronyme pour un grand tournant sociétal

La France s’est donnée comme objectif d’arrêter toute artificialisation supplémentaire de ses sols à partir de 2050, c’est-à-dire toute construction nouvelle diminuant ses espaces naturels, agricoles, et forestiers. C’est l’objet de la loi ZAN, ou loi Zéro Artificialisation Nette des sols. Et d’ici les dix prochaines années, c’est déjà une réduction de moitié de la consommation d’espace qui est demandée, soit 10 000 ha de construction en moins. 

 

Une exigence de « sobriété foncière » qui va fondamentalement changer en France les décisions territoriales en matière d’urbanisme, les projets immobiliers et les pratiques architecturales. 

Les raisons qui poussent la France à opter pour un programme de sobriété foncière 

 

Quand on comprend le rôle des sols dans la préservation de la planète et en particulier dans la lutte contre le réchauffement climatique, on ne peut que s’incliner devant la nécessité d’arrêter la constructibilité des terres dans notre pays à haute densité démographique.

L’artificialisation des sols entraîne en effet de nombreuses conséquences nocives : une imperméabilisation des sols qui accroît les risques d’inondations et glissements de terrain par ruissellement, une atteinte significative à la biodiversité, une diminution du potentiel de production agricole et une restriction du volume de ces réservoirs qui stockent du carbone.

En France 20 000 à 30 000 ha sont retirés chaque année des espaces naturels, forestiers ou agricoles.  Il s’avère que cette artificialisation est beaucoup plus rapide que dans les autres pays européens. Tous les territoires sont concernés. Bien plus encore que dans les grandes villes, c’est dans la périphérie des villes moyennes que le phénomène est le plus accentué.

Et comme l’extension des zones pavillonnaires éloignent bien souvent les habitants des services publics, les déplacements augmentent et renforcent la dépendance à la voiture individuelle. Non seulement la pollution s’en trouve accrue, mais la durée et les coûts de transports entraînent des problèmes socio-économiques que la crise des gilets jaunes nous a rappelés il n’y a pas longtemps. 

Les résistances sont importantes et compréhensibles

L’impératif de sobriété foncière rencontre de nombreuses résistances. Le rêve d’accession à la propriété et si possible d’acquisition d’un pavillon avec jardin sont très ancrés dans la sociologie française. Et le prix du m2 dans les grandes villes éloigne les ménages qui souhaitent y accéder, provoquant cet étalement des zones pavillonnaires que l’on souhaite freiner.

Par ailleurs l’ère est à la promotion des réhabilitations mais on oublie que le recyclage urbain est souvent plus complexe et plus coûteux que la construction neuve.

Enfin le souhait pour un vendeur d’accroître son revenu par la constructibilité d’un sol qu’il possède et l’envie pour un élu d’urbaniser son territoire pour attirer de nouveau habitants viennent s’ajouter aux motivations déjà mentionnées. 

 

Comment traiter une question si complexe

 

Jean-Baptiste Bulten, directeur de l’aménagement durable au Ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des Territoires, a clairement précisé les axes de réflexion et d’action du gouvernement : -  L’élaboration d’une définition officielle du ZAN et des moyens pour le mesurer -  La création d’une réglementation, indispensable face à des intérêts divergents -  La mise au point des modalités d’accompagnement des collectivités engagées en faveur de la sobriété foncière. 

La bienheureuse notion de solde net

Jusqu’à présent le code de l’urbanisme était assis sur des mesures de consommation d’espace, d’étalement urbain, de mitage de l’espace agricole. Aujourd’hui on va plutôt se pencher sur la notion de protection des sols, et ceci en dehors des villes comme à l’intérieur de l’espace urbain. La nature en ville est en effet aussi importante à protéger que les terres extérieures. 

C’est pourquoi le ZAN est un indicateur qui est défini comme le solde entre les nouvelles surfaces artificialisées et les surfaces nouvellement renaturées. Cette définition a été légiférée par le décret du 29 avril 2022 et l’indicateur entrera en vigueur en 2031. 

Ce solde sera appréhendé non pas à l’échelle d’un projet mais à l’échelle des documents d’urbanisme et de planification d’un territoire. La mesure de ces surfaces et la dimension des territoires auxquels elles s’appliquent seront progressivement définies. 

Des outils sont actuellement développés pour aider les collectivités à mesurer cet indicateur (photos aériennes, données fiscales, outils numériques…). 

Par ailleurs, le texte pointe la beauté la nécessité de prendre en compte des réalités diverses des territoires et de les distinguer en fonction de leurs besoins et enjeux, des efforts en matière de sobriété foncière déjà fournis, ainsi que du foncier déjà artificialisé. Les logements non habités et les friches par exemple feront l’objet d’une attention particulière… 

Jean Baptiste Bulten insiste sur la progressivité du processus qui concernera d’abord les régions (février 2024) avant d’être décliné jusqu’aux intercommunalités (août 2027). Cette transformation certes profonde sera stimulée par la mise en valeur de territoires d’ores et déjà exemplaires, par l’aide de structures spécialisées dans l’ingénierie territoriale, et par l’action des établissements publics fonciers. Des subventions significatives accompagneront le processus, comme le « fonds friches » d’ores et déjà existant, ou le « fonds de renaturation des villes » annoncé par le gouvernement. 

 

La révolution programmée de notre paysage

La conception de l’indicateur ZAN pour lutter contre l’artificialisation des sols a introduit astucieusement la notion de compensation. S’il est une incitation certaine à protéger et développer la nature dans l’espace urbain, il permet encore de construire. Mais il n’est pas inutile de faire montre de vigilance quant au risque d’appauvrissement général économique et esthétique qu’entraînerait son application trop stricte. 

Il est certain qu’une telle mesure va entrainer une densification de l’habitat. Rappelons d’ailleurs que dans les villes, l’analyse de nombreux immeubles du siècle dernier révèle une conception astucieuse des volumes démontrant une densification indéniable du bâti, conception abandonnée dans les dernières décennies.

 

Le retour actuel de la densification et son développement se remarque déjà dans la conception des nouveaux complexes immobiliers et de certaines zones résidentielles en périphérie. On le constate également dans la transformation sauvage de banlieues cossues où les vastes jardins des maisons de la Belle Epoque sont divisés et où sont érigées de nouvelles maisons dont l’architecture rompt souvent radicalement avec le style ambiant. 

 

Sans remettre en cause le fond de la démarche, on ne peut qu’insister sur la nécessité d’un contrôle accru des Architectes des Bâtiments de France et d’une volonté absolue des Maires de protéger une certaine unité et esthétique de leurs communes. 

 

Or on assiste actuellement à des excès des deux côtés : une intervention parfois exagérée de l’ABF au-delà de tout réalisme, et une indifférence complète de certains maires laissant petit à petit s’enlaidir leur commune sans réagir. 

 

On ne peut qu’insister dans ce contexte sur l’utilité des conseils d’architectes qui devraient systématiquement accompagner les décisions municipales. 

 

Un changement majeur de paradigme pour l’architecte

L’indicateur ZAN, ainsi que plusieurs autres contraintes environnementales comme la multiplication des labels, le développement de l’immobilier bas carbone et la nouvelle réglementation RE2020, change ce que Le Corbusier appelait la « tournure d’esprit » de l’architecte. Peut-on dire que face à tant de règles il y a forcément diminution générale des possibilités de création architecturale ? Certes l’innovation technique notamment au niveau des matériaux est amplement sollicitée. Mais la rénovation, la réhabilitation, la transformation du bâti existant, ce n’est pas la création ex-nihilo de nouvelles formes. Et c’est rarement un bâtiment entier dont la construction va apporter au territoire une aura qui pourra parfois dépasser les frontières et marquer une époque. Nous avons tous en tête les dernières créations hors du commun de très grands architectes français ou internationaux. Nous avons tous dans le cœur un bâtiment qui nous a émerveillé un jour. Plus, c’est l’identité même d’une zone géographique qui peut se trouver renforcée par une construction nouvelle. Et contribuer largement au développement de son Soft Power. 

 

Aujourd’hui les usages sont redevenus essentiels dans le geste architectural, et c’est une bonne chose car la priorité donnée à l’esthétique ou l’originalité a parfois nui à la praticité du vécu. 

 

Mais n’oublions pas que la trace laissée par les différentes civilisations et époques qui nous ont précédé est d’abord due à la beauté de ce qu’elles ont construit. 

 

Il n’y a plus qu’à espérer que les zones renaturées de notre environnement soient suffisamment nombreuses pour que le ZAN nous accorde encore quelques belles surfaces à construire, ou que l’on trouve le courage de détruire l’existant lorsqu’il défigure inutilement les périphéries des villes … 

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